Je suis captive dans un labyrinthe sans fin, façonné de l’asphalte encore fumant de nos ardeurs. Les murs gris, infranchissables, percutent le ciel. Le soleil est brûlant, mais je ne le vois pas ; je suis éblouie. Le bitume est rugueux, il blesse la paume de mes mains et écorche mes genoux. Dans cette course effrénée, je tourne en rond, je chancelle, à la recherche d’une issue invisible. En vain, je perds pied dans le tumulte des voix, bourdonnement continu, fond sonore de ma déchéance. Je suis la muse soumise au bon vouloir de ton inspiration. Tu me heurtes avec tes mots tranchants – parfois par sadisme, parfois par ennui – et tu me blesses avec ton silence incendiaire. Des entailles à vif, éternellement. Le temps passe et les chances de m’affranchir s’évanouissent dans le soupir de tes baisers mortels.
Le labyrinthe est ta demeure, Astérion. C’est ici que tu assouvis tes pulsions les plus sauvages. C’est le foyer tes drames personnels, le donjon de tes fantasmes et le cocon de ta détresse. Ce qui me fait doucement rire, tu sais, c’est que même toi, tu ne saurais pas comment sortir. C’est d’ailleurs loin d’être ton projet. Grand bien te fasse, mon amour. Dans le méandre de souvenirs d’un autre âge et d’une autre vie, sanctuaire du chaos infernal de ta luxure et de mon oubli. Toi et moi sommes captifs. Je cherche la sortie, tandis que toi, tu te repais inlassablement de mon corps, jusqu’au fond de mon âme. Et tu as froid.
Dans ton étreinte infrangible, tu me saisis et tu me transportes au milieu de ton labyrinthe. Retour à la case départ, les dominos tombent en cascade, mes espoirs sont entraînés dans leur chute. Tu repars aussi vite que tu m’es apparu. Ton côté du lit est vide et froid. J’imagine ton corps contre le mien, tu fumes comme à chaque fois. Alors je saigne à cause du vide de ton absence. Qui suis-je pour avoir autant besoin de toi ?
Je suis épuisée de me battre contre tes charmes et de devoir te laisser des bouts de moi quand tu le désires. Et tu prends, tu prends, tu prends, comme si ça allait durer pour toujours. Mais j’ai un cœur tu sais, et il est fragile : un jour je n’aurais plus rien à te donner.
Pendant que toi tu vis et tu jouis de mondanités, de nectar onéreux et de poussière de fée, des corps dénudés te sont offerts dans des suppliques. Elles te veulent toi, les sacrifiées, leurs mains jointes, t’implorant à genoux, elles ont soif de ta reconnaissance, soif de toi, Astérion. Dans un geste de compassion et peut-être aussi par vanité, tu les prends toutes entières, les unes après les autres, les sacrifiées.
S’il te plaît, dis-moi les choses, dis-moi que tu m’aimes et que ma présence ici est importante, dis-moi ce que je vaux pour toi, au moins une fois. Par ton silence, tu creuses le trou béant – comme leurs bouches – dans lequel je verse des larmes qui abreuvent le jardin maudit de ton labyrinthe en feu. Tombeau froid de ma jeunesse perdue dans tes bras, incapable de me dépêtrer du lierre de tes étreintes, vénéneux, possessif, étrangleur. Tu vois, moi aussi je t’implore. Mais il est vain d’appeler à l’aide ou de te demander – aucun moyen n’est bon, puisque tu as jeté la clé, du geste nonchalant qui te caractérise, comme l’enfant pris en flagrant délit de bêtise sans personne avec assez d’aplomb pour te punir.
A la seconde où je les croise, tes yeux me jettent un sort. Ton regard de glace a ce paradoxe qu’il renferme le feu. Ta rage intérieure ne semble jamais s’apaiser et tu fulmines sans cesse de toute la passion qui te caractérise. Ta colère contre l’injustice, ta peur d’être incompris, tu voudrais toute l’attention du monde et en même temps qu’on oublie ton existence. Tu es d’acier et à l’intérieur bout la lave, alors tu brûles et tu me consumes. Avec ta force titanesque et tes mains autour de mon cou, tu pourrais sans mal briser le fil de ma vie, comme tu as déjà brisé maintes fois tes promesses. Chaque soir je meurs, quand je me donne à toi. C’est triste et c’est très beau. L’amour existe-t-il vraiment lorsqu’il nous dévore tout entier ? Je n’ai jamais été dévote, mais quand je te vois, je m’en remets toujours à Dieu.