TW : violences psychologiques, physiques et sexuelles.
J’ai attendu le film “Blonde” avec beaucoup d’excitation, je l’ai vu dès sa sortie et pourtant j’ai eu besoin de quasiment six mois de digestion pour enfin pouvoir exprimer mon ressenti. Je profite de la réception du vinyle de la BO pour m’y replonger au moins avec les oreilles.
“Blonde” est un film sur Marilyn Monroe réalisé par un ami (et réalisateur de documentaires) de Nick Cave, Andrew Dominik. Cave a composé la bande originale avec son acolyte Warren Ellis, il ne m’en fallait donc pas plus pour trépigner d’impatience en attendant la sortie du film sur Netflix.
Premier détail important : Andrew Dominik ne réalise pas un biopic, mais une adaptation du roman “Blonde” de Joyce Carol Oates, sorti en 2000. C’est un point que je tiens à soulever, la confusion étant facile car entretenue par Netflix qui a fait sa promo du film en utilisant le terme “biopic”, par stratégie marketing certainement.
Le roman d’Oates est une fiction, inspirée par la vie de Marilyn Monroe, ou plutôt Norma Jean Baker, dont les événements ont été modifiés voire inventés par l’autrice. L’ambition de l’autrice avec ce roman inspiré de faits réels, était de ramener la légende Monroe au statut d’être humain au sens le plus littéral du terme : une personne faite de chair et d’os. C’est important de le savoir en lisant le roman, puis en se plongeant dans son adaptation cinématographique.
J’ai lu “Blonde” quand j’étais ado, ayant déjà un intérêt spécifique pour la vie de Monroe et bien que cela date d’il y a quelques années, ce roman m’a laissé un souvenir plutôt amer. Je l’ai trouvé froid, brutal, sans pitié pour Marilyn, parfois même sadique. J’envisage de le relire sous un regard neuf et déconstruit, plus mûr que celui d’une gamine de quinze ans fascinée par les films de l’âge d’or hollywoodien. Il m’a fallu grandir et vivre certaines expériences avant de comprendre beaucoup de choses au sujet de Marilyn.
Parlons du film. Comme je le disais, j’étais très excitée à l’idée de le découvrir, connaissant déjà la qualité photographique du travail de Dominik. Aussi, j’avais un peu d’appréhension : 15 ans après ma première lecture du roman d’Oates, puis une relecture de certains passages et de chroniques littéraires, j’avais en possession certaines clés de lecture et j’attendais ce film au tournant. J’étais aussi sceptique sur le fait que le thème abordé par Oates, les violences psychologiques, physiques et sexuelles subies par le personnage principal soient traitées par un homme hétérosexuel, blanc et cisgenre. J’entends d’ici certains souffler fort, alors je m’explique rapidement : de par leur position dans la société, d’une façon générale et ce au sens large du terme, les hommes blancs, cisgenres et hétérosexuels se trouvent en haut de la pyramide des privilèges. En gros, ils sont statistiquement parlant les individus ayant subi le moins de discrimination ou de violences à cause de leur genre, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau. Ca ne veut pas dire qu’aucun homme blanc, cisgenre, hétérosexuel n’a connu de discrimination ou de violence dans leur parcours de vie, cela veut tout simplement dire, que statisquement parlant, il y a peu d’invidus hommes blancs cisgenres hétérosexuels qui vont se sentir personellement concernés (non pas touchés, émus ou encore indignés, mais concernés comme individu ayant déjà vécu une expérience similaire) par les violences évoquées dans Blonde. Ce qui, à mon avis, change drastiquement le prisme à travers lequel est vu Blonde en tant que livre ou que travail cinématographique.
La photographie est somptueuse. Je passe sur la ressemblance troublante d’Ana de Armas, avec Marilyn, bien que renforcée numériquement. Les personnes qui, comme moi, sont extrêmement sensibles à la photo et en particulier à celles de Marilyn, auront compris que les photos de “la vraie” Marilyn sont le squelette, la charpente du film. De très nombreux plans débutent par des clichés de Marilyn qui existent réellement, pris au fil de sa carrière, par des proches photographes (comme Milton Greene ou encore André de Dienes) ou pour son travail promotionnel. Ces photos vont influencer le choix du passage de la couleur au noir et blanc de façon aléatoire dans le film, mais aussi le cadrage, les décors et les costumes des acteurs. Étant familière avec l’univers visuel de Marilyn, cela a soulevé chez moi de nombreuses questions, car les photos sont utilisées de façon quasi anarchique, systématiquement anachroniques et souvent utilisées hors contexte. Cela permet néanmoins au film d’obtenir des plans sublimes, qui en revanche n’appartiennent pas à son metteur en scène, mais aux photographes d’origine. Je ne me risquerais pas à parler de plagiat, mais je dois admettre que j’y ai pensé à plusieurs reprises dans la mesure où les photographes concernés ne sont pas crédités.
J’ai malheureusement dû voir le film en plusieurs fois, car les faits relatés sont explicites, crus et parfois gratuits. De nombreuses scènes sont difficiles à regarder, malgré une esthétique systématiquement soignée. La mise en scène, les choix photographiques et narratifs sont clairement pensés pour impacter le spectateur, lui mettre un gros coup de latte dans la gueule et c’est ce que j’ai ressenti de façon quasi littérale. Mais je me suis demandé si cette démarche était engagée de la part d’Andrew Dominik. S’est-il positionné en tant qu’allié des femmes, afin de dénoncer la violence vécue par son protagoniste féminin ? J’ai eu une lueur d’espoir concernant Dominik, peut-être qu’au fond, il s’agit – à l’instar du travail d’Oates – de montrer que derrière le glamour hollywoodien, les comédies romantiques les paillettes, se cachent la cruauté de l’humain, la douleur de la chair de Marilyn, sur qui le sort s’acharne sans relâche depuis le premier jour jusqu’à son dernier.
Après avoir visionné méticuleusement des interviews de Dominik durant la campagne de promotion du film, la réponse fut sans appel : je me suis fourré le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Un journaliste a demandé à Dominik s’il était admirateur de Marilyn (la vraie), ce à quoi il a répondu en substance qu’il n’a vu qu’un seul film avec Monroe, “Les Hommes préfèrent les blondes”, dans lequel elle joue “une prostituée bien habillée”, en anglais “a well-dressed-whore (sic)” (1). Concernant le reste de la filmographie de l’actrice, il se serait contenté de regarder quelques extraits pour les besoins de son propre film.
A propos des choix de la mise en scène, l’alternance des techniques cinématographiques, du cadrage ou du passage de la couleur au noir et blanc, il ne justifie pas ses choix en disant simplement qu’il trouvait cela esthétique. En gros, il ne faut pas chercher plus loin que sa volonté de faire du beau, et qu’aucun message n’est dissimulé dans les images (2). Je vous invite à voir ses interview, en bas de l’article. C’est ainsi que je suis tombée des nues et que j’ai revu mon jugement dans son intégralité. Andrew n’a aucun message à faire passer, il voulait juste faire “du beau” avec de la violence, de la souffrance, des traumatismes, des viols et un suicide avec au passage un message pro-vie en guise de cerise sur le gâteau.
Finalement, la seule chose que je retiendrai de “Blonde”, sera sa bande originale, composée par Nick Cave et Warren Ellis, dont c’est loin d’être la première collaboration avec Dominik (on connaît déjà “L’assassinat de Jesse James” et deux documentaires autour de Nick Cave, entre autres). D’une beauté fulgurante, omniprésente dans le film, elle hante l’esprit du spectateur comme elle semble hanter celui de la protagoniste.