Je ne compte pas les fois où j’ai été emmerdée dans la rue et je suis loin d’être la seule à être dans ce cas. Je repense souvent à un événement en particulier, loin d’être le plus violent ou le plus déroutant, qui m’a profondément marquée. Je l’ai très vite classée sans suite dans mes archives persos et malgré cela, son souvenir est toujours resté vivace. 

Rue toulousaine, fin de journée, la lumière de la ville est dorée, ça sent l’été. On peut enfin sortir sans veste, car l’air est doux même la nuit. Je suis toute pimpante, revigorée par l’arrivée du week-end, que j’attendais avec impatience, je me sens plus fraîche que jamais. Je pars rejoindre mes copines en terrasse, en mode after work, débrief de la semaine et déballage de potins à la pelle. Bref, tout va bien.

Je passe par une artère principale, animée par le boucan des embouteillages de sortie de bureau, beaucoup de voitures, les piétons sont éparpillés entre les terrasses et les boutiques. Sur le même trottoir, au loin, je vois un type du genre quinqua bien entamé par la vie, avancer tout voûté dans ma direction. On est sur le point de se croiser, moi qui suis du genre hyper vigilante dans la rue, rien n’agite mon radar à relou. Je continue ma route, lui de même et on finit par se croiser. C’est à ce moment que j’entends dans mon oreille : 

  • Sale pute. 

Dans la mesure où il n’y avait que lui et moi sur ce bout de trottoir, sans doute aucun, le monsieur au marcel blan et jaune sous les bras s’adressait à ma personne. Ça m’a fait hausser les sourcils de surprise (ce qui est un exploit dans la mesure où chaque sortie dans l’espace urbain me fait afficher un masque de non-expression du visage). Je n’ai absolument pas réagi plus que cela  un haussement de sourcil, une ébauche de rire nerveux, je pense à une punchline, je dégaine mon téléphone et j’envoie à ma copine : 

  • Meuf, je viens de me faire traiter de sale pute dans la rue, ça y est, c’est l’été ! 
  • Quoi ? Mais ça va ? 
  • Oui ça va, c’est rien. J’arrive. 

J’ai retrouvé ma copine, on a bu un verre en terrasse, respecté le programme débrief de la semaine et des potins à la pelle et je n’ai même pas repensé à ce moment gênant. 

Sauf qu’en fait ça m’a travaillé et pas qu’un peu. 

Loin de moi l’idée de me sentir ffensée d’être comparée à une travailleuse du sexe, honnêtement je ne trouve pas cela insultant en soi. En revanche je sais pertinemment que son but à lui c’était de me blesser avec ces propos et c’est ça qui me tue. Pourquoi tant de violence de la part de ce pauvre type à l’encontre d’une personne qu’il croise dans la rue ?

Sans surprise, j’ai cogité, j’ai cogité et je ne voyais pas le problème. Sauf peut-être le fait que j’étais en robe d’été et qu’on voyait mes jambes. Sauf peut-être que j’étais une jeune femme seule dans la rue. Sauf peut-être une sale misogynie bien puante. Ouais, c’était ça le problème : la misogynie. 

Quand on est pas dans la catégorie “homme blanc cisgenre hétéro”, quoi qu’on fasse est source de critique (quand c’est pas de la violence) et personellement j’en paie les frais depuis que je me déplace seule dans la rue, c’est à dire depuis mes 11 ans. Depuis – comme la majorité de mes adelphes – j’ai développé des astuces de sioux pour être tranquille : faire la gueule, faire gaffe aux fringues que je mets quand je prends les transports, avoir mon téléphone dans la main la main elle-même dans la poche, ne pas mettre la musique trop fort, ne pas croiser de regard, faire semblant de ne pas entendre quand on se fait alpaguer pour un sourire ou un zéro-six. Être constamment en mode survie quand on fout les pieds dehors, c’est une vie ça ? 

Donc non, se faire taxer de “sale p***” dans la rue juste parce qu’on existe ça va pas et c’est pas rien .